L'art comme Personne ou la construction du sens.
Personne, c'est le nom qu'elle se donne, est une jeune femme qui, avec la collaboration d'une équipe, publie un journal sur l'Internet. Ce journal a pour objet de construire du sens politique en utilisant des moyens à la fois explicites mais également artistiques.
http://www.lejournaldepersonne.com/
Personne donne à penser plus qu'elle nous explique comment penser.
Donner à penser, c'est conduire l'interlocuteur à construire lui même le sens seulement suggéré, quand ce sens est suggéré par l'art, il en ajoute l'émotion qui en décuple l'assimilation.
Personne, personnage remarquable, m'a conduit à réfléchir sur l'art en général et particulièrement sur l'art en tant que mode de propagation d'idées politiques .
Qu'est que l'art? Voilà qui questionne le monde depuis que ce terme a pris son acception moderne et s'est différencié du simple savoir-faire.
Art, un mot à significations multiples.
Que nous apprend à ce sujet le Dictionnaire Historique de la Langue française d'Alain Rey à propos de l'art?
Le terme vient de l'accusatif du latin ars, artis . Ars a pris en latin le sens d'habilité acquise par l'étude ou la pratique et celui de talent, puis est passé au sens de métier, profession. Le mot a servi d'équivalent au grec tekhné (technique) et prend le sens d'habile. Le premier groupe d'emploi (historique) correspond à la valeur générale de «moyens, méthode, connaissance», fin du 10ème siècle. Puis vers 1165 deux significations: «discipline, étude»; les sept arts enseignés au moyen âge. Plus tard, du 12ème au 17ème siècle, il prend le sens de «ruse, artifice».
Le terme a conservé plusieurs sens; le sens premier, technique: «méthode propre à une discipline», on dit d'un grand technicien, ingénieur, artisan, chirurgien qu'il est bien l'homme de l'art et qu'il peut réaliser du grand art.
Puis au 19ème siècle sous l'influence du mot allemand "Kunst", le terme va changer de domaine. La valeur du mot art va être essentiellement liée à l'importance prise par le sentiment dans la création artistique et la sensation de beau, sensation éminemment subjective d'où de grandes divergences entre humains sur ce qui est beau et ce qui ne l'est pas.
Allons plus loin, Alain Rey ne nous dit pas tout. La définition du terme moderne qui n'est plus habileté technique, peut être aujourd'hui résumé par :
«Artefact (objet créé de main d'homme) propre à susciter une émotion».
C'est lapidaire, mais cette définition toute personnelle fait abstraction du beau de Kunst puisque l'objet «artistique» n'est ainsi pas obligé de satisfaire à des critères relatifs d'esthétique pour provoquer une émotion.
L'émotion est une sensation qui peut être agréable ou désagréable, elle est proche du stress. Cette émotion est provoquée par un afflux d'enzymes chargées de placer le corps humain en état de défense en cas de danger, ainsi l'émotion accroît brièvement certaines capacités cognitives.
Une émotion peut être produite par un événement dramatique soudain, elle peut également survenir d'un rappel d'événements passés et ce d'une manière consciente ou inconsciente.
Une émotion, peut donc survenir par le biais d'un artefact quelconque qui provoque un rappel, de ce qui est imprimé dans notre mémoire même inconsciente, comme la simple odeur des madeleines rappelait à Proust les plaisirs de son enfance.
L'artefact qui suscite une émotion chez un individu peut être appelé «art» si il a été conçu expressément pour ça. Malheureusement l'odeur des madeleines ne sont pas artistiques bien qu'elles puissent donner des émotions semblables à une œuvre d'art.
Donc l'objet artistique, qui en appelle à la totalité des informations déjà stockées dans notre mémoire, ne peut provoquer le même effet émotionnel chez tous les hommes. Chaque humain possédant une expérience de la vie différente lui ayant apporté des informations différentes aura des émotions différentes.
L'art ne peut être universel et ne peut qu'être lié à une culture, culture inscrite dans un espace: Afrique, Amérique etc. ou dans une époque, antiquité, moyen age etc.
L'art peut être aussi rassembleur dans un espace culturel donné s'il fait appel à ce qui est commun à un ensemble humain pouvant être décrit: populations de l'occident chrétien du 13ème siècles, indiens d'Amérique, population russe insurgée en révolution etc. Ici il s'agit d'art religieux au sens étymologique, c'est à dire qui relie les hommes concernés partageant un tronc culturel commun.
Les artefacts de l'art, s'adressent aux sens pour produire une émotion et pourraient s'adresser à tous les sens: la vue, l'ouïe, l'odeur, le goût, le touché.
Cependant une habitude a été prise de catégoriser les formes prises par l'art en fonction des techniques utilisées.
1- Avec la vue, l'image à deux dimensions: la peinture, la photographie.
2- Avec la vue, la forme à trois dimensions: la sculpture et l'architecture.
3- Avec la vue et l'ouïe, le roman, la poésie, le théâtre, l'opéra, le cinéma, la vidéo.
4- Avec l'ouïe: la musique et l'effet sonore.
5- Avec l'odeur la parfumerie.
6- Avec le goût, la cuisine, (en France c'est un art).
Le touché n'est pas encore utilisé pour produire de l'émotion, cependant les aveugles l'utilise pour se rendre compte de formes.
Technique ou art, artisan ou artiste ?
On perçoit que dans la description des catégories techniques pouvant produire des émotions, il en est qui sont usuellement considérées seulement techniques, comme la cuisine et la parfumerie ,bien que l'on puisse dire art de la cuisine ou de la parfumerie. D'autres techniques restent toujours dans le domaine de l'art comme la peinture ou la musique. La frontière entre les deux est floue et particulièrement subjective.
On a vu précédemment que le terme «technique» venant du grec s'est confondu dans le passé avec le terme «art» venant du latin. Le terme «art» possède d'ailleurs toujours ces deux significations, l'une renvoie à la technique, c'est la signification primitive qui s'estompe et devient un archaïsme dans la langue. L'autre faisant appel à la sensation de beau est apparu petit à petit en Europe à partir du15ème siècle en perdant avec la même progressivité son aspect technique pour s'imposer au 19ème siècle.
Cependant, ma définition, celle que j'expose plus haut: «artefact propre à susciter une émotion», départage définitivement ce qui est art et ce qui ne l'est pas car elle prend en compte l'émotion, le sentiment, l'impression provoquée, sans faire appel à la notion très subjective de beau, c'est l'acception la plus actuelle de l'art et la plus intéressante.
En Europe occidentale, cette progression dans la signification de l'art est bien déterminée dans l'histoire; du Moyen Age à nos jour on peut en suivre les étapes.
Art comme technique mais également valeur spirituelle.
Au début du moyen âge classique l'art est indissociable de la technique, cela ne veut pas dire du tout que cet art ne cherche pas l'émotionnel, mais le statut d'artiste n'existait pas, le facteur d'art était un artisan qui était inscrit à un registre de métier et payait sa cotisation au métier juré auquel il était affilié. L'artisan devait avoir l'obligation de suivre certaines techniques: un peintre de portrait était affilié à la même organisation de métier qu'un peintre en bâtiment et un sculpteur était considéré comme un tailleur de pierre.
L'artisanat artistique de l'époque médiéval est pourtant très lié à l'émotion il est essentiellement religieux par exemple les églises et cathédrales dites gothiques furent entièrement conçues pour donner l'impression du divin par la verticalité, par l'importance des verrières et de la lumière venant d'en haut.

Transept de la Basilique Saint Denis
Architecture médiévale complexe et porteuse de sens, un art au vu et au sus du peuple
Afin de pouvoir dégager ces immenses verrières il fallait supprimer les murs porteurs, les architectes trouvèrent la solution avec l'arc d'ogive sur colonne et l'utilisation d'arcs boutant extérieurs, l'ensemble accentuant l'effet de verticalité et d'élan vers le ciel. Cet art architectural purement technique est devenu un art émotionnel à part entière.

Technique sophistiquée de l'architecture médivale, perdue à la "renaissance"
Si les églises et cathédrales romanes précédentes possédaient de vastes murs porteurs propices à la peinture sur fresque, dans la cathédrale gothique il n'y a plus de murs et donc plus de fresques possibles, mais des vitraux les remplacent. C'est la raison pour laquelle l'art pictural s'est peu développé dans l'espace gothique du nord de la France, né partir de la fin du 12ème siècle puis s'est épandu dans toute l'Europe jusqu'au 16ème siècle. L'art pictural par contre va se développer en Italie du nord et en Flandre, nous verrons pourquoi.
L'avènement de l'artiste et de l'art comme valeur purement esthétique.
A partir du 14ème siècle venant d' Italie du nord, un art privé va se répandre en Europe. Cet art n'est destiné qu'à une petite élite de très riches bourgeois et de quelques nobles embourgeoisés et enrichis. Cet art n'est plus monumental comme l'art médiéval français car n'est destiné qu'à être regardé seulement par le maître du lieu ou il est exposé et par ses relations d'affaires.
L'art quitte l'église, l'agora pour être exposé dans les salons privés des palais. La possession d’œuvres d'art devient un signe de richesse et de réussite sociale et par là, montre que son possesseur figure bien parmi les puissants faisant parti d'une élite.
Parmi cette élite il y a aussi une élite plus élevée, celle qui possède, parmi son personnel domestique, un peintre ou un sculpteur capable de composer une œuvre originale n'étant destiné qu'à lui-même.
Ainsi l'artisan, au service d'un personnage puissant, rémunéré par lui à plein temps , devient artiste, il ne cotise plus aux métiers, il n'a plus à en suivre les obligations. L'artiste se libère de la corporation certes, il peut composer l’œuvre qu'il entend, sans règles corporatistes imposées certes, mais il entre dans l'ordre des valets de maisons, il obéit à son maître et compose sur commande.
L'art quitte le domaine du signifiant collectif et du transcendant pour ne devenir qu'esthétisme au service d'un hédonisme élitiste, c'est la fameuse et fausse «renaissance», terme et concept inventés plus tard, au 19ème siècle .

Boticelli , « La naissance de Vénus » icône typique de l'art privé italien de la fin du 15ème siècle qui développe à l'envie l'esthétisme et l'hédonisme sur des sujet antiques. Boticelli reviendra plus tard sur ce type de peinture avec des représentations plus religieuses et médiévales.
L'art devient également une valeur en politique commerciale.
Pour que cet art élitiste et hédoniste puisse exister il était nécessaire que de riches personnalités possédassent les moyens d'entretenir à plein temps peintres et sculpteurs. On comprend également que l’œuvre d'art ne nécessitait plus d'être monumentale, l'hédonisme qu'il devait servir était propice au tableau et à la sculpture unique possédées par un seul le maître. Ce maître là avait du s'enrichir fortement et personnellement et non plus collectivement comme une cité qui finançait une grande cathédrale. La guerre de cent ans fut propice à l'enrichissement d'hommes d'affaires, banquiers et industriels de l'Italie du Nord qui prêtaient de l'argent aux belligérants et leur fournissaient un armement qui devenait onéreux : armures, canons, poudre, pendant que les villes italiennes étaient épargnées par les destructions de la guerre affectant la France. La Flandre et la Bourgogne étaient également épargnées par la guerre, elles virent l'émergence d'une élite industrielle enrichie dans la fabrication d'étoffes et étroitement alliée avec la finance et l'industrie italienne, elle favorisa l'art pictural privé. Parmi cette élite de l'élite émergeât à Florence, au tout début du 15ème siècle, une forte personnalité, Cosme de Médicis (1389 – 1464) dit Cosme l'ancien. Cosme de Médicis industriel et banquier, possédait une fortune personnelle égale aux moyens à l'époque de la France et l'Angleterre réunies, il utilisa l'art produit par ses artistes pour montrer son propre pouvoir et démontrer la supériorité italienne sur les autres pays d'Europe. Il prêtait alors volontiers ses artistes serviteurs à ses riches clients qu'il conservaient ainsi dans sa dépendance.
L'art un enjeux d'influence politique entre anarchie médiévale et étatisme despotique en émergence.
Durant la période 14,15 et 16 ème siècle l'art devint un enjeux d'influence politique et de pouvoir entre la France et l'Italie. En effet, au 13ème siècle, la France et Paris étaient le centre absolu à la fois de l'art et de la connaissance pour le monde occidental. L'université de Paris et ses nombreux collèges dispensaient de nouveaux enseignements dont la scolastique inventée par Pierre Abélard.(1079 – 1142) Cette méthode reprise beaucoup pus tard par Descartes dans son fameux «Discours de la Méthode», possédait une originalité qui se trouvait dans la philosophie aristotélicienne du doute et dans la recherche de la division d'une problématique donnée en ses plus petits éléments, allant du compliqué au plus simple, afin de pouvoir résoudre un ensemble complexe.
Cette pensée profonde et novatrice dont étaient imprégnés les intellectuels de l'époque facilitera l'invention de l'architecture appelée improprement gothique. La conception architecturale des bâtisses était alors basée sur une succession récurrente d'éléments identiques fabriqués avec les même outils et capables à force d'être reproduits de construire des structures finalement complexes. Ceci allait de paire avec l'autonomie des communes qui en collectant d'énormes moyens pouvaient financer ces monuments de complexité.
On distingue ici cette capacité collective ou tout despotisme était exclu. Les intellectuels italiens étaient fort jaloux à l'époque de la magnificence française et parisienne. Le pape résidait en Avignon, le centre du pouvoir intellectuel et spirituel étaient en France et à Paris et non plus à Rome.
Un complot pour promouvoir l'état.
Pétrarque (1304 -1374 romancier et poète italien) pourtant issu de l'enseignement français se lancera dans une activité d'influence politique cherchant à dénigrer la France et le moderne pour valoriser l'Italie et l'antique, il va le faire en s'appuyant sur l'art. L'art français était taxé alors de «gotico» et «tedesco» c'est à dire germanique, pour les italiens tout ce qui venait d'au delà des Alpes était forcément germanique, barbare et péjoratif. Pétrarque encouragera la recherche d’œuvres antiques dont le sol italien était riche, ces sculptures s'arrachaient à prix d'or entre les riches industriels et banquiers italiens. L’Italie voulait alors se rappeler son ancien pouvoir impérialiste sur l'Europe et promouvoir son nouveau pouvoir économique. Pétrarque fit la promotion de l'art italien et des valeurs antiques, avec ce que mon ami Marc Boureau d'Argonne appelait un comité d'adoration mutuelle, celui-ci était composé par le duc d'Anjou installé à Naple qui avait pris le parti de Florence, les auteurs Dante, (1265 – 1321), Boccace, (1313 – 1375) et le peintre Giotto, (1267 – 1337) ou chacun était le laudateur de l'autre et fustigeaient en même temps l'art français et son «gotico». Mais au delà de la critique du gothique collectif et de la promotion de l'esthétique antique se profilait la promotion du despotisme romain face à la multipolarité anarchique du pouvoir médiéval.
Ici, un comparatif entre la peinture de Giotto et celle de ses collègues à la même époque sur le seul sujet de la vierge à l'enfant.

Giotto (1267- 1337), « Vierge à l'enfant », rien d'extraordinaire qui puisse justifier des louanges particulières, aucune invention, il est comme tous ses collègues de son époque surtout influencé par l'art Byzantin. Seule la propagande en fit la notoriété.

Simone Martini (1284-1344) détail d'une annonciation, peintre pourtant contemporain de Giotto, est autrement plus évolué. Mais lui, siennois n'a pas bénéficié de la propagande médiatique du florentin.
L'imposture est évidente
Il s'agit bien ici d'un combat entre deux conceptions du monde supportées par deux conceptions de l'art. Un art collectif à volonté transcendantale et un art esthétique et hédoniste.
Un pouvoir dilué à l'infini contre un état centralisateur et despotique.
Le concept politique qui sera plus tard appelé «renaissance» en se référent à la renaissance de l'antique, était né contre la culture française à partir de la critique de Pétrarque du «moderne» représenté par le «gothique». On en fit bien plus tard, au 19ème siècle, un concept contraire, puisque on appela «temps modernes» l'époque qui suivit ce «moyen age» prétendument obscure.
Ce concept récent de «renaissance» emmène aujourd'hui avec lui un fatras pseudo historique essentiellement bâti sur du faux. Un faux, mais asséné à l'envi formant ainsi une montagne d'idées reçues sur cette fausse période historique et artistique. Le plus connu de ces faux arguments serait «l'invention» de la perspective en peinture, comme si le réalisme avec perspective en art pictural en était la quintessence définitive. L'art de Picasso non seulement ne l'utilise pas de perspective mais elle est un obstacle à ses représentations du réel.
Cependant, des artistes nordistes médiévaux comme Robert Campin (1378 – 1444) né à Valencienne, ont peint avec un réalisme précis.

Robert Campin : Annonciation.
Décrit dans ses moindres détails un intérieur bourgeois du début du 15ème siècle
Détail , Annonciation de Robert Campin
Le complot ourdi par Pétraque va trouver son achèvement avec Giorgio Vasari (1511- 1574) qui écrivit laVies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes. Particulièrementsa seconde édition de 1568, retrouvée au 19ème siècle et à défaut d'autre chose, furent considérées par certains comme des publications fondatrices de l'histoire de l'art, mais en fait de l'art italien, excluant l'art français, c'est à ce moment que le terme de «Renaissance» fut inventé.
Ce complot à l'origine dirigé contre la France devint par la suite un complot dénigrant la période féodale dont le défaut, qu'il fallait fustigé, était l'inexistence de l'état et la multiplicité des pouvoirs. A contrario ce complot valorisait l'état despotique et tyrannique incarné par sa forme romaine et son art antique.
Tous les despotes à partir du 16ème siècle jusqu'à nos jours prirent modèle sur l'antique romain, des Médicis à Louis XIV et de Napoléon à Mussolini tout en valorisant la pseudo «renaissance».
Malheureusement, la république française voulant valoriser l'état et fustiger le féodal, prit un symbole romain puissamment étatiste que je retrouve avec tristesse sur mon passeport.

Armoiries de la République française avec des faisceaux romains,
facio en italien origine du terme fascisme
L'art est bien un mode d'expression qui entraîne avec efficacité une conception du monde, comment ?
La réflexivité et la construction du sens.
La réflexivité est une des notions axiome de l'ethnométhodologie, discipline cognitive aidant à interpréter les phénomènes sociaux. Cette discipline fut inventée par l'étasunien Harold Garfinkel et introduite en France par Yves Lecerf qui fut brièvement mon maître juste avant son décès.
La réflexivité comme activité d'interprétation est un phénomène observable dans les comportements. Elle influe sur la manière dont chacun interprète les signes qu'il observe pour construire du sens.
Une définition théorique est donnée par Alain Coulon :
«La réflexivité désigne les pratiques qui à la fois décrivent et constituent un cadre social.Dans le cours de nos activités ordinaires, nous ne prêtons pas attention au fait qu’en parlant, (avec un interlocuteur) nous construisons en même temps, au fur et à mesure de nos énoncés, le sens, l’ordre, la rationalité de ce que nous sommes en train de faire à ce moment-là.
Les descriptions du social deviennent, aussitôt dites, des parties constitutives de ce qu’elles décrivent »
il s'agit là bien de l'interprétation que l'on donne à une information qui nous est transmise, cette interprétation est bien «réflexive» car elle fait appel aux informations déjà acquises et reconnues nous permettant d'interpréter, c'est à dire donner un sens (pour nous) à ce qui nous est transmis afin de ranger ce sens dans telle ou telle valeur que l'on s'est déjà donnée.
L'information reçue et interprétée est le reflet de l'information déjà acquise. Cette nouvelle information est validée car considérée comme vrai car pouvant être rangée dans le crédible car peu éloigné ce qui est déjà acquis. Un nouvel acquis se constitue ainsi prêt à accueillir une nouvelle information et ainsi se forme la construction d'un sens.
L’œuvre d'art transmet avant tout des impressions pouvant être interprétées d'une manière réflexive en fonction de ce qui est acquis. Cette impression peut avantageusement être précédée d'une «provocation» ayant pour but de déstabiliser l'acquis, de briser les conformismes afin de provoquer une réflexion Cette réflexion commençant par être défensive mais peut se terminer (ou non ) par un acquiescement. La réflexion induite par la «provocation» permet au récepteur de construire «lui-même» le sens souhaité et ainsi de se l'approprier définitivement. Si la provocation éloigne trop de l'acquis c'est à dire de la culture du récepteur il y a alors risque de déconnexion et de rejet.
On voit que la connaissance du fonctionnement de la communication entre humains qu'elle soit artistique ou explicite présente un intérêt considérable en politique.
L'impression et la provocation dans l'art.
Évidemment on pense aux impressionnistes et au premier tableau de cette école de peinture: «Impression soleil levant » de Claude Monet

Ici le levé de soleil au dessus du port du Havre en perçant la brume matinale est suggérée. Nous construisons nous même le spectacle du manière réaliste et ainsi nous sommes en mesure de nous l'approprier et l'apprécier bien mieux que s'il était reproduit en détail comme une photographie. Nous sommes loin de l'esthétisme réaliste. Ce tableau fit scandale à l'époque, c'était une provocation, mais celle-ci permit de valider le concept. Aujourd'hui l'aspect provocateur a totalement disparu.

Ici un pas de plus est franchi par Chaïm Soutine (1893 – 1943) dans la provocation et son éloignement de l'esthétisme. Cette peinture intitulée le «Bœuf écorché» nous montre «La viande» et son horreur bien mieux que son spectacle réel dans une boucherie.

Ici encore, Chaïm Soutine, dans l'un de ses nombreux portraits d'enfant de chœur, nous «montre» le blanc absolu de la chasuble en contraste avec le rouge de la cote. Cette chasuble semble plus blanche que blanche, tandis que le visage renforce l'expression jusqu'à la caricature.
Art et poésie désignent la même chose.
La poésie est l'art même de l'émotion. La poésie n'existe pas seulement dans la parole et l'écrit, la poésie existe dans toutes les formes artistiques ont peut dire que c'est l'essence de l'art. On dirait même que si l'art peut être défini comme un artefact propre à provoquer une émotion, il ne serait y avoir art sans poésie.
Tout ce qui est décrit plus haut à propos de l'art est valide pour décrire la poésie.
La provocation, l'impression donnée, l'implicite remplaçant l'explicite, la réflexivité et la construction du sens.
La poésie le plus réflexif des arts, la poésie est l'art apte à faire surgir le vécu de chacun.
L'art et la politique.
On a vu que l'art et la politique se sont liés étroitement même bien avant que la notion moderne du terme n'existe. Au moyen âge l'art (technique) doit donner une impression de transcendance il est collectif et fait pour la collectivité il sert à entraîner une cohésion sociale par la religion (relier).
Puis l'art devient un moyen pour les italiens d'affirmer leur puissance économique et tenter de la transformer en puissance politique, il devient au contraire de l'art médiéval français, esthétique et hédoniste réservé à une riche élite.
L'art de la «renaissance» s'inspirant de l'antique devient un marqueur du pouvoir, du despotisme et de l'état, voir même des états totalitaires des régimes fascistes italiens et nazis.
L'art des impressionnistes provoque l'ordre établi et le conformisme bourgeois.
L'art dés le 19ème siècle peut devenir directement politique en supportant une idée révolutionnaire ou de contestation.
L'art voulant introduire un sens politique ne peut être qu'un art de masse à la disposition de tous au vu et au sus de tous comme l'art médiéval. Ce sera également l'art révolutionnaire par l'affiche ou l'art théâtral populaire et politique de Bertold Brecht.

Affiche révolutionnaire soviétique d'inspiration cubiste

Le tableau de Delacroix : « La Liberté guidant le peuple aux barricades » est le plus célèbre des tableaux en France, personne jusqu'au moins cultivé des français ne l'ignore tant il a été montré et qu'il incarne aujourd'hui l'idée même de liberté et de république.

Le tableau de Picasso : « Guernica » en dépit de son cubisme fait également parti des tableaux les plus connus dans le monde, chacun de nous en a aperçu un jour une reproduction. Le plus hermétique des humains ne peut qu'y voir l'horreur d'un bombardement et l'horreur du fascisme à la seconde même ou il envisage ce tableau.
L'art et la poésie, meilleurs vecteurs d'idées politiques.
La poésie peut ainsi être l'art le plus politique de tous car il montre sans démontrer il donne à penser plus qu'il n'exige comment penser permettant ainsi au sujet récepteur une rapide appropriation du sens construit.
Ces deux poèmes. Liberté de Paul Eluard et la Rose et le Réséda d'Aragon sont peut être les seules poésies que personne n'ignore et ou tout un chacun y reconnaît d'emblée la résistance au nazisme, en quelques phrases plus qu'en un long discours.
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J’écris ton nom
Sur les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffées d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes raisons réunies
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attendries
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté
Paul Eluard, Poésies et vérités, 1942
La Rose et le réséda
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du cœur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda
Aragon
La méthode de Personne dans la construction d'un sens politique.

http://www.lejournaldepersonne.com/
Pourquoi m'attarder sur ce site et sa méthode de communication politique ?
L'équipe qui participe à ce site a formulé une méthode originale et efficace mêlant d'une manière synergique différents procédés de telle sorte que la réflexivité, c'est à dire la participation du spectateur soit utilisée au maximum possible rendant les messages politiques particulièrement efficaces.
Le Journal de Personne s'intitule secondairement: «l'information scénarisée». Cette information transmise n'a rien d'une conférence de François Asselineau, elle est mise en scène, théâtralisée, poétisée de manière à provoquer l'émotion nécessaire au conditionnement du spectateur et à sa mise en posture de vigilance sensorielle et de réflexion.
Dans le message en forme de clip vidéo, la réflexivité joue à fond permettant de bousculer les idées reçues et de forcer l'acquiescement du message politique.
Personne ou la réflexivité en continue.
D'abord la comédienne en Personne, elle est belle, maquillée comme au théâtre en forçant le trait, habillée comme théâtre selon le scénario, il y a un décor, le spectateur est déjà à l'écoute, en se posant cette question: que peut bien vouloir nous dire d'important cette femme ?
La comédienne s'anime, elle parle toujours comme au théâtre articulant outre mesure, sa gestuelle et ses mimiques accompagnent le propos et le soulignent, ce propos ne peut ainsi nous échapper la parole accentuée par le mime, techniques théâtrales assurément .
La technique « artistique » suscite déjà l'émotion.
La théâtralisation du propos nous conditionne ; ce sera grave et sérieux. Une musique toujours aussi théâtrale introduit le discours une autre sera à la conclusion afin de souligner à l'aide d'évocations sonores ce qui va être dit et ce que l'on doit en conclure..
Puis le discours ; il est entrecoupé de phrases explicites, de provocations humoristiques et d'images poétiques. La dérision domine le propos. La provocation c'est l’inattendu, le non conforme, le décalage que l'on perçoit entre ce que nos certitudes attendent et le sens du message. La provocation est déjà poésie la provocation se perçoit en émotion.
L'explicite est acquis sans problème on sait tout de suite de quoi il s'agit , on est dans le contexte, la provocation suit nous mettant en posture de réflexion, nous sommes bousculés, l'image poétique peut venir alors par jeux de mots, notre acquis surgit de notre mémoire et nous construisons nous même le sens à donner. L'explicite revient, un nouveau contexte se met en place pour la suite du propos, ces alternances se suivent jusqu'à une conclusion toujours aussi théâtrale et musicale.
Durant tout le discours nous n'avons jamais cessé de produire par nous même du sens politique pour l'assimiler comme certitude ou ...doute.
Nous sommes fascinés, groggy par la puissance de l'évocation politique.
Ici la politique c'est de l'art.
Car l'art donne à penser, l'art permet la construction d'un sens, l'art est éminemment politique et Personne l'a parfaitement compris.
Bibliographie :
Le Robert, Dictionnaire Historique de la Langue Française, sous la direction d'Alain Rey.
Le Moyen Age, une Imposture. Jacques Heers, Perrin.
L'Artiste et la Cour. Martin Warnke. Edition de la Maison des Sciences de l'Homme.
L’Ethnométhodologie . Alain Coulon. Que sais-je . PUF.
Le Travail au Moyen Age. Jacques Heers. Que sais-je. PUF.
Initiation à l'Art des Cathédrales. Jean Cosse. Zodiaque.
Penser au Moyen Age. Alain de Libera. Seuil.
La révolution industrielle du Moyen Age. Jean Gimpel. Seuil.